Les mots ont menti. Les mots ne sauvent rien ni personne ; ils n’ont aucun pouvoir et sont écrasés par les silences qu’ils provoquent. Ils ne sont qu’ornement, atténuation, mensonges et illusions. Ils ne soulagent plus aucun spasme de douleur, ne répandent plus leur exquise morphine. Ils sont stériles et ne permettent que de prolonger l’horreur en la fixant une bonne fois pour toutes au cœur des pages. Ils rappellent combien l’idéal se brise au contact de la réalité. Ils soulignent le décalage entre la vitrine du monde et ses coulisses. Traduisent la moindre émotion, la décuplent, la subliment et la déchirent à la fois. Les mots ont menti ; me laissent glacée, suspendue dans des vertiges insolubles. Je jure pourtant que j’ai essayé. Ecrire une poétique du presque, ou plutôt du pas assez, s’inscrire dans le léger manque, grandissant au fil des semaines, des mois, que sais-je encore, s’illustrer et s’épanouir dans ce manque, avec juste ce qu’il faut de faiblesse pour le faire rayonner, et reconnaître. Mais non. Tout ceci est resté vain, et il me faudra écrire bientôt la fin de l’acte III en arrachant la dernière page pour ne jamais la lire enfin. L’horloge est réparée. Le temps qu’il reste. Et la perfection fêlée, qui révèle en creux le manque qui me définit, me condamnant éternellement à traverser l’illusion d’un bonheur sans pouvoir jamais le toucher.